Bien, je vais vous répondre mais il y a au préalable deux points que je souhaite mentionner. Le premier est que l'article est court et, à l'origine, il faisait partie d'un projet qui n'a pas abouti, en l'occurrence traiter de questions particulières, de façon concise, afin de donner envie au lecteur d'en savoir plus. Le second concerne "le parti pris", qui, me semble-t-il, coule de source lorsqu'on écrit sur un sujet quel qu'il soit. Tant que les assertions sont étayées, sourcées, ce qui n'empêche pas les désaccords et les débats, toujours utiles. Venons-en au fond du sujet.
Les « Illustrious » sont des navires et, comme tous les navires, ils ont une hauteur métacentrique. Le poids de la partie la plus élevée a un effet négatif sur la hauteur métacentrique et peut faire basculer les bâtiments. De plus, cela rend le roulis plus dur à supporter, avec des conséquences sur la qualité du pointage et sur la célérité du tir. C’est pourquoi nous affirmons que, dans leur conception, les «Illustrious » sont plutôt ratés en tant que navires.
Sur l’Ark Royal, au contraire des "Illustrious", il n’y a pas de pont d’envol blindé mais un pont disposant d’une cuirasse de 89 mm disposé sur des espaces situés au-dessus de l’appareil de propulsion et des dépôts de carburant, pont qui forme une sorte de boîte avec la ceinture blindée (114 mm). Les « Illustrious » possèdent un pont d’envol cuirassé de 76 mm, puis un autre pont blindé de 76 mm, à l’extérieur du hangar (voir David K. Brown, Aircraft carriers, MacDonald, 1977, p. 44, en l’occurrence, dans la phrase originale: outside the hangar. At hangar desk level. To meet the upper edge of the 4.5 in waterline belt). En d’autres termes, la « boîte » horizontale utilisée sur l’Ark Royal a été réduite, tout en y superposant un couvercle. Les 76 mm d’acier sont jugés suffisants pour résister à des bombes de 500 livres (soit 227 kg).
Étant donné que des bombes d’un calibre supérieur ont été précédemment utilisées lors des expériences menées en 1921 par le général américain Mitchell, l’ajout d’un poids supplémentaire sur la partie haute apparaît peu justifiable.
Autre détail : il n’y a pas de bombardiers en piqué en service au sein de la Luftwaffe et de la Regia Aeronautica -adversaires supposés- à l’époque de l’étude et de la mise en œuvre du projet britannique (1935), seule l’USN en aligne. Les bombes potentielles viendraient donc des bombardiers d’altitude. Les expériences britanniques faites sur le Job 74 (un ponton blindé construit à cet effet) en 1933-1935 confirment qu’il y a moins d’1% de chance (ou de risque) d’être touché lors d’une attaque du genre. À cette époque, la Regia Aeronautica dispose de bombes de 800 kg.
Les « Illustrious » sont capables d’embarquer 229 750 litres d’essence destinés au ravitaillement de 33 appareils, contre 454 600 litres pour 48-52 appareils de l’Ark Royal. Les « Yorktown » étasuniens, dont le projet est validé en 1933, transportent 707 360 litres pour 63 appareils (prévus). Pour autant, les « Illustrious » sont construits pour évoluer dans les eaux européennes et non dans les espaces océaniques étant donné qu’ils ne peuvent potentiellement mener qu’un nombre limité d’opérations aériennes (à cette époque, le ravitaillement en mer n’en est même pas au stade expérimental).
Pour ce qui concerne le blindage, celui des « Illustrious » est fabriqué en Tchécoslovaquie, donc pas d’acier cémenté Vickers (voir David Brown, Nelson to Vanguard, Chatham, 200, p. 50). Selon H.M. Ships Damaged or Sunk by Enemy Action, 3rd Sept. 1939 to 2nd Sept. 1945, TNA ADM 234/444, l’Illustrious est touché le 10 janvier 1941 par une bombe de 1 000 kg (en plus de celles de 500 kg et, probablement, de 250 kg), qui perfore le pont blindé et explose 10 pieds au-dessus du pont du hangar (perforated her armoured deck and exploded about 10 feet above the hangar deck). Ainsi, les 76 mm de blindage sont percés et la bombe explose au-dessus du second pont, étant donné le détonateur à retardement, qui fonctionne comme prévu, causant la dévastation du hangar (serious damage was caused to the forward lift and the surrounding hangar deck structure). Est-ce que le pont de l’Ark Royal aurait résisté à une attaque similaire ? Difficile à dire. La photo (voir lien à la fin de texte) montre que ce-dernier encaisse, sans conséquence apparente, deux bombes perforantes italiennes de 250 kg le 9 juillet 1940, en Méditerranée occidentale. L’Indomitable, quant à lui (selon ADM 234/444, p. 27), est touché de plein fouet par deux bombes de 500 kg. La première au niveau de l’ascenseur de proue, perforant le pont d’envol, exploser et cause deux trous à travers les lower gallery decks, causant un incendie, y compris au dépôt de munitions. La seconde plombe à travers l’ascenseur de poupe et se comporte comme celle de 1 000 kg encaissée par l’Illustrious, parvenant, cependant, à percer même le pont inférieur. Résultat : 6 mois de travaux.
Le 1er avril 1945, l’Indefatigable est frappé par un kamikaze armé d’une bombe à retardement de 250 kg qui perfore le pont blindé à la hauteur de l’îlot, provoquant un cratère de 3 pouces et « une petite portion du pont d’envol fut endommagées par l’explosion et les éclats ». Le 4 mai, c’est au tour du Formidable e subir une attaque analogue, au même endroit. Selon le rapport, il est « perforé d’un trou mesurant 2 pieds (61 cm) avec des dégâts aux hangars A et B, tandis qu’un éclat se loge dans l’appareil moteur, hachant tout ce qui se trouvait sur son parcours ».
En d’autres termes, le pont blindé de 76 mm n’est pas à l’épreuve des bombes de 250 kg, qui s’abattent à une vitesse relativement basse (celle de l’avion), alors que dire à moyenne ou haute altitude ! Par contre, le pont cause des problèmes non négligeables aux navires, qui, en plus des « déformations induisant des réparations longues et difficiles » (sic), doivent ralentir, et avec eux toute l’escadre, mettant toute cette-dernière en danger. Comme les marins le savent, la vitesse d’un convoi est celle du bâtiment le plus lent.
Pour revenir sur les « Yorktown », ils ont une protection horizontale de 76 mm, mais il s’agit là de l’épaisseur obtenue en cumulant le blindage pare-éclats du pont blindé du hangar et du blindage principal qui croise (et voici de nouveau la « boîte ») la ceinture de 102 mm. Aucune protection, donc, contre le tir d’obus de 152 mm.
Pour résumer, il est à notre avis erroné d’affirmer « si on regarde d'ailleurs les travaux de conception des Yorktown à peu près à la même époque on s'aperçoit que la protection contre les obus de 6'' est aussi une préoccupation très présente », ou encore « 4.5’’ d’acier cémenté Vickers-une protection supérieure à celle des croiseurs lourds de l’époque » ou encore « que les porte-avions britanniques doivent faire face aux kamikazes en 1945 et les ponts blindés ne seront jamais percés », au vu des arguments que je viens d'énumérer. Cela ne veut pas dire, pour autant, que ces bâtiments n'ont "pas fait le job", mais juste qu'on leur a prêté des qualités extraordinaires (c'est comme ça qu'on les a vendus, et c'est de bonne guerre, sans mauvais jeu de mots), qu'ils ne possèdent pas. Vous pouvez naturellement camper sur vos positions, aucun problème, mais nous n'avons pas pris le problème abordé par-dessus la jambe.
Voici deux illustrations, un photo du bombardement de l'Ark Royal le 9/7/1940 et un dessin des points d'impact des bombes sur l'Illustrious, le 10 janvier 1941.
