Une journée qui se termine.

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Moutton
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#1

Message par Moutton »

Tous les écrans de l’étage viennent de se mettre en veille, tout est bloqué jusqu’à demain matin. Il continue de regarder son écran si familier, mais si distant. Ses doigts qui tapaient, il y a quelques secondes encore, des données que son esprit n’analysait plus, viennent de s’arrêter, il n’y a plus rien à taper. Etaient-ce bien ses doigts, il ne sait plus vraiment, il est encore rêveur, son esprit est ailleurs. Cet écran noir vient le sortir de son état de sommeil réveillé. D’un coup, la centaine d’employés présents se lève de leur siège, attrapent leurs manteaux, chapeaux, vestes, foulards respectifs. Il fait de même, il prend et met son manteau, il fait partie du système. Comme tous les jours, il voit sa voisine, dont il ignore le nom, mettre sa même veste, son même chapeau, tous les jours. Personne ne parle, seuls les bruissements des vêtements qui se froissent et se frottent viennent rompre ce silence qui régnait en maître depuis la dernière pause, deux heures auparavant. Aussi loin que remonte sa mémoire, il n’a jamais entendu parler dans cette pièce, non jamais. Ca y est, les portes des ascenseurs s’ouvrent. D’un seul mouvement, tous se dirigent vers ces gueules de métal. Comme d’habitude, il prend celui de droite, et il est le dernier à monter. Comme d’habitude, pendant les dix minutes de ce voyage, il ne peut que contempler les mêmes quatre rivets parfaitement alignés et chromés qui maintiennent l’affichage digital que personne n’a jamais regardé. Le même silence pesant, tous ont les yeux braqués devant eux, les plus grands se regardent dans le métal froid qui reflète leur image, les autres admirent les épaules et omoplates des anonymes placés devant leur visage. A peine peut-on entendre le mécanisme de la machinerie. Les portes s’ouvrent. Tous se retrouvent dans le hall puis dehors. Maintenant, c’est chacun pour soi, une moitié part vers le parking à voitures et l’autre part à l’opposé, vers la gare routière. Pour la première fois depuis des jours, des mois, voire des années, il décide de rentrer à pied. Il lui en prendra deux à trois heures, à vue de nez. Quelle importance, rien ne l’attend sinon un préparateur de repas automatisé, un vidéo-diffuseur aux milliers de chaînes aussi inintéressantes les unes que les autres, un lit froid et un appartement vide.

Seul dans les rues, il marche comme un robot dans une ville qu’il comprend de moins en moins. Tiens, encore des travaux, ou un accident, toute une section d’Autoroute Rapide est bloquée. En passant sur une passerelle, il s’arrête pour contempler l’ampleur des dégâts. Il ne peut pas, d’énormes bâches cachent la partie endommagée, il y a sûrement des morts derrière. Personne ne saura qui c’était, les informations n’en parleront pas. Avec de la chance, les familles seront prévenues dans la semaine. Des centaines, voire des milliers de véhicules en tout genre sont bloqués, sans un bruit, moteurs éteins. Ils attendent silencieusement que les voies soient dégagées. Les conducteurs sont accrochés à leurs volants, les passagers fixent l’horizon, aucune discussion ne semble animer un quelconque véhicule. Poussant un long soupir, il décide finalement de continuer sa route, un dernier regard lui permet de repérer un bus, ‘son’ bus. Il devrait être bloqué là, avec les autres, dans cette mer de plastique et de métal, aussi calme qu’un étang un jour d’été sans vent. Il avait programmé ses chaussures pour le parc ‘John Young’, c’est elles qui se chargeaient de l’y emmener, tout ce qu’il avait à faire était de mettre un pied devant l’autre. Le voilà. Au détour d’un énième bâtiment décoloré, les premiers arbres apparurent.

Que ce parc est beau, bien entretenu, propre. Il respire la joie de vivre, il transpire la vie, tout simplement. Blip. Les petites diodes de ses chaussures viennent de passer du rouge au bleu, il est arrivé. Il est en mode ‘manuel’ maintenant, c’est à lui de décider où il va aller à présent. Quel chemin choisir ? Tous paraissent si agréables, si rafraîchissants, si relaxants. Sans réfléchir, il prend celui de droite. Au premier détour, il se retrouve dans une petite clairière où un banc en bois l’attend. Sans hésitation, il s’avance et s’assoit. Oui, il est bien. Il ferme les yeux, il peut maintenant se concentrer sur ses sens si peu sollicités, l’ouïe et l’odorat. Ici, toutes les senteurs se bousculent, les bruits se chamaillent, jouent ensemble. Il peut les sentir, il respire à pleines narines. Il se sent part de cet environnement, des images défilent devant ses yeux. Un hérisson qui fouille dans les feuilles fraîchement tombées, là-bas ce sont des abeilles qui butinent et qui diffusent le parfum des fleurs sous leurs ailes, au fond un écureuil appelle ses petits, et des oisillons crient de faim. Pour la première fois, il ne se sent pas étranger dans ce qui l’entoure. Il est chez lui. Il laisse tomber sa tête en arrière et étend ses bras sur le dossier du banc, et prend une grande bouffée de cet air si bon, si pur, si familier.

Lentement, il rouvre les yeux. Les lumières sont éteintes. Il fait donc officiellement nuit. Il est pourtant formellement interdit de rester seul la nuit dans cette partie de la ville en cette saison. Peu importe. Il passera la nuit ici, personne ne viendra le chercher dans ce petit parc perdu. Combien de temps avait-il somnolé ? Est-ce que ça avait une quelconque importance, non. Il pouvait rester des heures ainsi, laissant les bruits de la nuit le bercer jusqu’au petit matin. Dans l’obscurité de l’espace, des lueurs des bases spatiales clignotaient avec leur habituelle régularité, des traînées laissées par les cargos interplanétaires dansaient aux rythmes des couloirs spatiaux. Cette nuit, peu d’étoiles étaient visibles. Etrange. Non, cette lueur à l’horizon indique qu’elle sera là. Majestueuse, magnifique, mystérieuse, comme dans ses rêves. Elle arrive sur la gauche, cachée par les cimes des arbres, jouant avec ces dernières, créant un ballet de lumière divin.

Il referme les yeux, ce spectacle l’éblouit, c’en était trop à la fois. C’est comme si son esprit ne pouvait supporter une telle charge de plaisir visuel. Dans quelques secondes, il sera de nouveau prêt. C’était maintenant au tour de l’ouïe de profiter de l’instant. Le temps que l’attention passe des yeux aux oreilles, les bruissements se firent de plus en plus présents. Les animaux se sont tus, il n’y a plus que le ruisseau qui file dans son lit, les petites cascades qui se succèdent rapidement, chacune émettant sa petite musique propre, formant un concerto en Eau Majeure. A cela, vint s’ajouter le vent qui joue dans les branches, feuillages et autres touffes d’herbes. Une symphonie naturelle pour oreilles non averties. Tout se mariait parfaitement. Maintenant, malgré ses paupières fermées, il pouvait sentir sa présence, sa lumière traversant les minces pellicules de chair recouvrant ses yeux. Elle est là, disponible. Lentement, il ouvra les yeux.

Leurs deux regards se croisent. Il sourit. Elle le fixe. Ses yeux se mettent à briller, une larme se forme sur chaque œil. Tous les soirs il avait souhaité la revoir, sa Terre.

Depuis que ses parents avaient décidé d’aider la colonisation de la Lune en venant s’y installer définitivement, quand il avait dix ans à peine, il n’y été jamais retourné, et ce n’est pas faute de volonté. Tous les colons lunaires retournant sur la planète bleue ne survivaient pas au retour à l’air naturel, leur corps n’acceptant plus que l’air filtré, sans parler du changement de gravité. Cette Terre, où tout le monde est libre, où tout le monde peut se déplacer où ils le souhaitent, sans ses éternelles cloches et tunnels de verre au dessus de leurs têtes, sans la crainte de la menace des météorites. Cette Terre, où il pleut, où le soleil joue avec les nuages, où les oiseaux sont libres dans les cieux. Cette Terre, où les animaux peuvent gambader librement. Où tout est si pur. Tout cela n’était qu’un rêve hors de portée. Des larmes se mirent à couler sur ses joues, des larmes de joie de pouvoir admirer tout ça. D’un petit mouvement, il se redresse légèrement, ses mains glissent sur le dossier du banc, ce n’est pas du bois, il le sait. Ce n’est qu’un alliage de plastique ressemblant au bois naturel, tout comme ce parc, si réel au premier regard mais totalement artificiel. Il ne peut pas les voir, mais il sait qu’ils sont là, les générateurs aléatoires de bruits, les diffuseurs de parfums, et toutes ces formes inertes, mortes, plastiques. Mais tout cela est vite oublié. Ce sont des larmes chaudes qui coulent à présent sur son visage, des larmes de joie, encore. Quel plaisir de contempler cette chevelure blanche interminable flottant divinement devant ses yeux. Et ce bleu si pur, il donnerait tout pour aller plonger dans ces océans, toucher leurs faunes et flores…

Un flash. Trois énormes spots viennent de s’allumer directement sur lui. Ebloui, il tente vainement de se protéger les yeux avec ses mains. Qu’est-ce qu’il se passe ? Une voix métallique vient apporter la réponse.
« Ne bougez plus. Vous êtes en violation du couvre feu imposé par les Hautes Autorités des Colonies Lunaires. Conformément aux articles 4-5-7F et 9-2-4F, vous êtes en état d’arrestation. Toute tentative de fuite ou de résistance entraînera une utilisation létale de la force. »

Il se leva pour se mettre au centre de la clairière. La machine était un ancien modèle, et son programme fatigué. Elle prit la réaction de l’homme pour une tentative de fuite.

Son corps tomba lourdement sur le sol. Il se retourna pour regarder la planète bleue, ‘sa’ Terre une dernière fois, et ferma les yeux, en souriant.
.TLS.
.Mistel pilotâh.
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Moutton
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#2

Message par Moutton »

(( Promis, la prochaine histoire, y'a des avions dedans :modob: ))
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titimagic
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#3

Message par titimagic »

celle-ci Mouton, je l'ai adoré... je ne m'attendais pas à cet chute... du pur bonheur...
" A moi l'ivresse, l'ivresse... de la Guinness !!! "
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Drosan18
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#4

Message par Drosan18 »

C'est marrant le début ressemble au film equilibrium !!! Du très bon comme toujours moutton :D Merci beaucoup ;)
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Flyingtom
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#5

Message par Flyingtom »

Très efficace comme récit Moutton, bravo ;)
Si l'homme a été crée avant la femme, c'était pour lui permettre de placer quelques mots.
- Jules Renard -

Amis fans de Bd : http://www.bouletcorp.com/blog/
OrneryBoy

froggy.sim-fr
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#6

Message par froggy.sim-fr »

continue !!! :banana: c'est pas facile d'écrire... parfois on doute... alors si ça plait, faut lui dire. Encore bravo !!
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Veterinarians fly like animals !

<span style='font-size:8pt;line-height:100%'><span style='font-family:Arial'><span style='color:yellow'>"Dans quelques années, les avions seront pilotés par un commandant et un chien. Le travail du chien sera de surveiller les boutons pour que le pilote ne touche à rien." . [ Scott Adams ]

"Il vaut mieux un pilote plein que des réservoirs vides."
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