Azrayen a écrit : ↑dim. mars 17, 2019 9:11 am
Peut-on plutôt s'accorder sur ceci ?
Si une protection sauve plus de situations (empêche plus d'accidents) qu'elle n'en crée/contribue à en créer, son bilan est IMO déjà positif.
(si on n'est pas d'accord, je vais déduire que tu es contre les ceintures de sécurité et les airbags en voiture, parce que une ceinture de sécurité peut gêner une évacuation après un accident, ou parce qu'un airbag peut subir un déclenchement intempestif et causer un accident...)
Je pense que l'approche en aéronautique est différente notamment pour l'élément que tu cites : les données statistiques seront trop difficiles à exploiter, si seulement elles existent. En santé publique ou en sécurité routière, c'est différent, et on prend effectivement des décisions qui balancent les effets positifs et les effets négatifs, par exemple pour une campagne de vaccination.
C'est vraiment un point fondamental, et très lié avec la crise que l'accident dont nous parlons a engendrée. Pour le dire brièvement : bien que ce soit contraire à l'intuition la plus répandue, le modèle de la sécurité aérienne n'est pas probabiliste, c'est-à-dire qu'il n'est pas basé sur la recherche de la diminution du nombre d'accidents. En d'autres mots : on ne te laisse pas monter dans un avion parce qu'on est sûr que tes chances d'arriver sont raisonnables.
On te laisse monter dedans parce qu'on est sûr que tout a été fait pour éliminer tous les risques connus, ou pour que les risques qui n'ont pas pu être éliminés ne causent pas ta mort.
Il y a à cela une raison historique : le transport aérien, à ses débuts, est concurrent du transport maritime et sait que le seul domaine où il risque d'étre désavantagé, c'est la sécurité. La sécurité maritime, à l'époque, est basée sur un calcul probabiliste, parce que son modèle est très ancien et a été impulsé par les assureurs. Ils travaillent donc sur la notion joliment nommée "aventure maritime". Comprenant que l'époque ne va plus se satisfaire d'un modèle où voyager veut dire tenter sa chance (c'est la principale leçon commerciale tirée du retentissement du naufrage du Titanic sur l'opinion publique), les décideurs de l'aviation civile vont donc prendre à ses débuts une décision radicale : il n'y aura pas d'"aventure aérienne", mais la recherche constante de la sécurité absolue. Je sais qu'on répète inlassablement que le risque zéro n'existe pas, mais c'est une phrase de marin
En aviation on y croit, en tous cas assez pour ne jamais renoncer à l'atteindre (au niveau au moins des pertes humaines).
Ceux qui veulent mettre en doute ce rappel peuvent le faire tout simplement : ils doivent chercher la relation qui existe entre le niveau de l'activité aérienne et le nombre de victimes qu'elle fait. Vous trouverez de telles relations sur le transport maritime (aujourd'hui, seulement sur le fret) ou sur la route. Mais cela fait belle lurette qu'il n'y en a plus dans les airs. Et que la sécurité aérienne a des résultats fantastiques.
Du coup, on peut revenir à nos sujets : en principe, on n'implémente pas un système qui cause par lui-même des accidents, même si statistiquement il en évite plus. On introduit un système lorsque, après avoir analysé le risque d'une situation donnée, on a pu conclure que le système le faisait disparaître ou en diminuait significativement les conséquences. Mais, en général, si ce système, même bénéfique d'un côté, est lui-même porteur de risque, on ne l'introduit pas, ou alors on cherche à éliminer aussi le risque induit. C'est toute la difficulté avec les protections, et en général avec le fait que ce principe devient de moins en moins clair face à des systèmes de plus en plus complexes.
Surtout, ce modèle sécuritaire a un autre gros problème : il est excellent pour gérer le progrès technique, mais il est moins bon pour le facteur humain. Pas parce que l'humain est faillible ou ce genre de lieu commun, mais pour une raison conceptuelle : plus la technique est perfectionnée, plus la faute va se reporter sur l'humain. Un exemple (trop) simplifié : un bimoteur doit pouvoir atterrir sur un seul moteur, c'est une règle fondamentale. Supposons donc qu'un bimoteur s'écrase suite à une panne de moteur : tout le monde va avoir naturellement tendance à penser que le crash est la faute du pilote. En particulier, si vous vous tournez vers l'ingénieur qui a conçu le moteur (qui est quand même tombé en panne), il va vous dire que le risque zéro n'existe pas, que la technique n'est pas infaillible, que les moteurs tombent en panne, bla bla bla...
mais qu'il a prévu cela en mettant un deuxième moteur, et que donc, celui qui est à blâmer est celui qui n'a pas pu s'en servir. Si on laisse faire ça, on en arrivera à un système où la question du moteur passera au second plan.
Il existe donc des règles importantes pour éviter cela, la première étant celle que vous connaissez tous et qui figure en tête de tout rapport accident : l'enquête n'a pas pour but de déterminer les responsabilités. Cette formule n'est pas là pour rassurer les intervenants, au niveau de leur portefeuille ou de leur égo ; elle est là parce qu'elle est la clé de voûte de tout le modèle. A mon très modeste niveau, j'avais il y a une dizaine d'année conclu que ces règles pourraient un jour ne plus suffire face à l'évolution des techniques et du droit. C'est précisément ce qui j'ai cru voir à l'oeuvre dans les crashs du 737, d'où le fait que je n'ai pu m'empêcher d'essayer de partager quelques considérations (aussi au début du topic), merci a celui qui aura eu la patience de les lire.